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№ 65. Графъ Шуваловъ — Императору Александру.
Sire!
J’ignore si Votre Majesté Impériale est instruite de la véritable situation dans laquelle Ses armées se trouvent, et comme les circonstances exigent impérieusement, Sire, que Vous preniez des mesures vigoureuses pour arrêter le mal, j’ai demandé au général en chef la permission de me rendre à mon poste qui est auprès de la Personne de Votre Majesté Impériale, n’ayant aucun commandement ici, et celà dans le but d’exposer moi-même en détail à Votre Majesté Impériale la situation des affaires. J’ai des raisons réelles pour désirer ardemement de me voir hors d’ici, mais je suis pret à jurer sur l’évangile qu’aucune passion ne peut m’engager à présenter autrement les choses à Votre Majesté Impériale que sous leur véritable point de vue. Je viens d’apprendre que le prince Volkonsky va partir, et comme mes maux de jambes m’empêcheront d’aller aussi vite que je le voudrais, je crois positivement de mon devoir de porter à la connaissance de Votre Majesté Impériale ce qui suit.
Si Votre Majesté Impériale ne donne pas un chef aux deux armées, je certifie sur mon honneur et conscience que les affaires peuvent être perdues sans ressource, elles empirent de jour en jour; l’armée est mécontente au point que le soldat murmure, elle n’a aucune confiance dans le chef qui la commande, et le détail de ce qui s’est passé depuis le départ de Votre Majesté Impériale l’en convaincra. La partie des vivres est des plus mal organisées, le soldat manque souvent de pain, et les chevaux de la cavalerie sont sans avoine depuis plusieurs jours; la faute en est uniquement au général en chef, qui fait souvent des marches si mal combinées, que l’intendant général n’y peut rien. Le général Barclay et le prince Bagration sont très-mal ensemble, le dernier est mécontent avec raison. Le pillage s’exerce avec la [72] plus grande impudence; en attendant, les armées se trouvent placées de manière à donner près à l’ennemi; ce dernier manoeuvre pour attaquer de tous les côtés, car il paraît avoir assez de troupes pour cela, et a une triple ligne d’opérations par Orcha sur Smolensk, par Mohilev et Mstislav sur le même point, et par Vitebsk, soit sur Smolensk, par Poretcha, soit sur Viasma; l’ennemi à fait librement la moisson et a ses subsistances assurées; ajoutéz à cela, Sire, que nos milices ne sont probablement pas encore organisées, et que sûrement l’empereur Napoléon ne voudra pas nous en donner de temps.
Le chef de l’Etat-major, le général Ermoloff, malgré le zèle ardent que Votre Majesté Impériale lui connait pour son service, malgré ses talents distingués, ne peut obvier au mal sous un tel chef. Sire, daignez une fois avoir assez de confiance en moi, pour être persuadé de la vérité de ce que je dis. Il faut un autre chef, un chef aux deux armées, il est indispensable que Votre Majesté Impériale le nomme sans perdre un moment, autrement la Russie est perdue. Je me mets aux pieds de Votre Majesté Impériale pour l’en supplier, et je ne crains pas de le dire, au nom de ses armées.