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№ 413. Графъ Барклай-де-Толли — графу Ростопчину.
Je ne puis concevoir par quel hazard je n’ai reçu qu’à Dresde vos deux lettres du 28 avril et du 22 juin, mais je présume que mon séjour à Londres est cause de ce qu’elles ne me sont pas parvenues plutôt, surtout la première. Ce n’est donc qu’à présent que je puis vous exprimer ma reconnaissance la plus vive de tout ce qu’elles contiennent de flatteur pour moi, et vous répéter combien de prix je mets à l’amitié et à 1 estime d’un homme qui, comme vous, Monsieur le Comte, réunit le caractère le plus droit aux qualités les plus distinguées. Il est vrai que tout russe et bon patriote a raison de se féliciter de la manière [532] dont cette guerre, unique dans l’histoire, a été terminée; mais personne autant que moi, à qui des hommes en place même ont reproché de l’avoir provoquée. Sans cette fin glorieuse ils auraient cru leurs reproches fondés, et j’en aurais été continuellement le but.
Sa Majesté l’Empereur vit que cette guerre ne pouvait être évitée que si la Russie, oubliant sa dignité et ses forces, consentait à plier volontairement sous le joug qu’on lui préparait, et à mourir d’une fièvre lente. Sa Majesté prévit encore que cette guerre, comme la dernière lutte de la liberté contre la tyrannie serait menée avec le plus grand acharnement, qu’elle ne serait pas comme une guerre ordinaire terminée par une semblable paix, mais ne cesserait qu’avec l’entière décadence de l’un ou de l’autre parti. Les préparatifs pour une telle guerre, et la manière de la faire, ne pouvaient non plus être les ordinaires; il fallait recourir à des moyens violents, dont les esprits faibles ne pouvaient concevoir la nécessité. Dans tout cela je n’ai eu d’autre mérite que celui d’avoir exécuté de mon mieux les volontés et les intentions de mon Souverain, qui sans contredit, s’est montré dans ces trois années et surtout dans la dernière époque, le plus grand monarque de l’univers. Si je puis m’enorgueuillir de quelque chose, c’est de m’être chargé de l’exécution d’un plan d’opération, qui naturellement devait inquiéter beaucoup un peuple, dont les frontières, depuis des siècles, n’avaient été franchies par des ennemis: c’est, dis-je, de l’avoir fait sans posseder les moindres connexions à la cour et sans briguer la protection des grands et puissants de l’Empire, ne prenant conseil que de ma conscience et ne me reposant que sur la confiance de mon Souverain. Mon plus grand désir était de vivre jusqu’à la fin de cette guerre. Il est rempli dans toute son étendue; je vois notre patrie sur le plus haut dégré de gloire et de puissance auquel un état puisse monter, et il ne manque à ma parfaite satisfaction que la permission de pouvoir me retirer pour rétablir une santé affaiblie. [533]
Vous avez bien raison de placer par rapport à moi le Prince de Schwarzenberg dans la même cathégorie avec celui de Smolensk. Tous les deux, s’avouant leur propre incapacité, craignaient cependant de paraître dans l’ombre, montraient une basse jalousie, et s’appropriaient des résultats auxquels souvent ils avaient contribué le moins. Il existe cependant une différence entr’eux; c’est que le Prince de Schwarzenberg a quelques sentiments de probité qui manquaient absolument à Koutousoff.
Je suis bien fâché de ce que je n’aie pas connu dans le temps votre désir de voir faire à votre fils le voyage de Londres. Il m’aurait sûrement accompagné s’il n’avait été déjà parti lorsque je m’y résolus. Je vois avec peine votre mécontentement de ce qu’il n’a pas été décoré de l’ordre de St.-George; je vous avoue ma faiblesse, j’en ai été très-avare, et si cet ordre a été donné quelquefois à des personnes qui ne l’ont pas tout-à-fait mérité, c’est par protection, et non par ma faute; ma conscience m’absoud de tout reproche là-dessus.
Croyez à l’éternité des sentiments de l’estime et du dévouement le plus sincère, avec lesquels j’ai l’honneur d’ètre, etc.