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Отечественная война в письмах современников (1812—1815 гг.)
Автор: Н. Ф. Дубровин (1837—1904)

Источник: Дубровин, Н. Ф. Отечественная война в письмах современников (1812—1815 гг.). — СПб.: 1882. Качество: 75%


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№ 170. Полковникъ баронъ Кросаръ — Императору Александру.

7-го (19-го) октября 1812 г. Тарутино.

Sacrée Majesté,

Je terminai la dépêche que j’eu l’honneur d’adresser à Votre Majesté, en lui annonçant, que l’ennemi dirigeait une attaque vive contre notre avant-garde. Les russes ne se bornèrent pas à une courageuse resistance; il exécutèrent quelques charges heureuses et la nuit vint mettre fin au combat. Les résultats de cette affaire produisirent du monde tué de part et d’autre, ce qui détermina l’avantage — en faveur des russes sur les français, pour qui des non-succès sont des revers.

Le lendemain (5 octobre), un parlementaire vint aux avant-postes demander qu’il fut permis au général Lauriston de remettre au Prince Maréchal une lettre que lui adressait [222] l’empereur Napoléon. Son Altesse crut devoir accéder à cette demande, et vers les dix heures du soir, Lauriston fut admis à son audience. Après que le Maréchal eut achevé la lecture de la missive dont le style était loin de respirer cette dégoutante arrogance qui remplit ordinairement les écrits de Bonaparte, l’ex-ambassadeur proposa un cartel d’échange, relativement aux prisonniers. Le Prince était trop en garde pour donner prise sur lui; aussi son Altesse éluda-t-elle la question, en articulant une dénégation absolue de pouvoirs. Bientôt Lauriston glissa à parler de paix, exposa combien elle serait désirable entre deux Monarques qui s’estimaient, et il voulut insinuer au Maréchal qu’il lui serait glorieux de devenir entre les deux Souverains un instrument de reconciliation. Ici le Prince parut frappé d’un étonnement dont il ne sortit que pour dire sévèrement au mandataire, qu’il ne concevait pas, comment il pourrait lui proposer un semblable rôle! qu’il devait savoir que lui, prince de Koutousoff, rendrait à jamais son nom et sa postérité en exécration à sa patrie, s’il osait proférer le mot de paix dans une guerre qui commence. «Mais, repartit Lauriston, cette guerre prend un caractère horrible, tout s’incendie, les villages se désertent».

Il faut, reprit le Prince, attribuer ces excès du désespoir à l’exaspération d’un peuple qui n’aperçoit dans les opérations des français que ce qu’il apprit des invasions que les siècles passés virent exécuter par les tartares. Cependant, continua l’interlocuteur, il faudra bientôt céder à la saison et les deux armées se verront contraintes de rester inactives.

«C’est précisément, répliqua le Prince Maréchal, le temps, où j’espère, que la mienne aura le plus de moyens d’agir, et aucune chance de l’hiver ne pourra entraver ses travaux sous un ciel qui est le sien».

Devenu certain d’avoir manqué son but, après une heure d’un entretien où régna cette même teinte si propre à faire ressortir la loyauté et la franchise du Maréchal, Lauriston rejoignit le quartier général français. Les prisonniers, que les cosaques [223] amenèrent le lendemain, ne manquèrent pas de nous apprendre, que leur captivité les étonnait d’autant plus, que les bruits de trêve et de paix s’étaient repandus dans toute leur armée.

Quand au Prince, toujours fidèle à son système, il ne cesse point de faire travailler à son camp, rectifiant, autant qu’il est possible, les défauts par lesquels la nature a affaibli cette position. C’est ainsi que Son Altesse a acquis la faculté de se livrer à toutes ses conceptions et de pousser de nombreux partis sur touts les rayons, qui portent sur Moscou; ce genre de guerre nous encombre de prisonniers obligés d’aller au loin chercher pour eux et pour leurs chevaux une subsistance que ne leur fournit plus leur administration. Le Maréchal, au discernement duquel peu de choses échappent, a vu dans le système qu’il adopte un moyen d’apprentissage pour les nombreuses milices, qui se forment de tous côtés. Dernièrement, un bois fut enlevé à la baïonette par quelques unes de ces troupes, et d’autres se signalèrent de la même manière, à la prise de Vereïa. Les Français avaient fortifié ce poste avec soin à cause de l’importance dont il était pour couvrir Mojaisk, point essentiel de leur communication principale. Vereïa fut surpris et emporté l’epée à la main.

C’est dans cet état de choses que nous avons vu revenir de Pétersbourg le colonel Michaut, dépêché à la cour après la perte do Moscou. Cet officier, interrogé par l’Empereur sur l’opinion de l’armée, répondit: Sire, l’armée craint que Votre Majesté ne fasse la paix.

— «Michaut, je vous ordonne de dire à l’armée que quand nos armées seront détruites, je me mettrai à la tête de ma noblesse; que quand la noblesse n’existera plus, je rassemblerai les paysans et si j’échappe à la destruction totale, je laisserai croître ma barbe et j’irai cultiver des pommes de terre au fond do la Sibérie, mais je ne ferai point de paix avec Bonaparte».

Enthousiasmé par cette noble résolution de son Maître, le colonel osa exprimer ses sentiments en termes touchants et énergiques. Loin de s’en formaliser, l’Empereur l’embrasse et lui [224] dit: «Je vois, Michaut, que vous êtes un de mes fidèles sujets et bon enfant». Admis le lendemain à l’audience de Sa Majesté l’Impératrice-Mère, elle lui dit: «Michaut, vous avez parlé hier à l’Empereur en honnête homme; oui, nous devons oublier ce que nous avions été, plutôt que de consentir à dépendre de Bonaparte». Je tiens tous ces détails du colonel lui-même en tête à tête avec moi.

Toutes ces paroles propagées dans l’armée ne manquèrent pas d’y faire les impressions qu’on devait en attendre. Il n’en aurait certainement pas fallu davantage pour engager le Maréchal à porter à l’ennemi quelques coups qui puissent le convaincre de la vigueur qui animait l’armée, si son Altesse n’y eut pas encore été sollicitée par le dépérissement dans lequel l’état des prisonniers attestait que les troupes françaises étaient tombées. Ainsi, après avoir mûrement médité son plan, le prince crut pouvoir défaire les quarante cinq mille hommes, que Murat commandait en présence de son camp. La longueur des nuits, les reconnaissances exactement transmises par les partis, firent donc concevoir un projet de surprise qui fut heureusement exécuté hier, le 6 (18) de cé mois. Dix régiments de cosaques, soutenus par quatre de dragons, furent destinés à déboucher sur les derrières de la position de Murat dont la gauche dût être tournée par les corps aux ordres des comtes Osterman, Strogonoff et Baggowut, tué dans l’action. Le Maréchal, à la tête de la majeure partie du reste de son armée, sortit de son camp pour protéger la manoeuvre. Son Altesse jugea qu’en toute espèce de cas, il était nécessaire de paraitre imposant, pour éviter une bataille générale en opposition avec le sage système auquel il semble vouloir rester fidèle.

Commandées et dirigées par le général en chef Baron de Benigsen, les troupes de l’expédition, dont la nuit avait servi le dessein, furent à la pointe du jour déployées sur les points qul leurs avaient été assignés et elles firent ponctuellement l’attaque au moment qui leur avait été fixé. [225]

Surprendre les Français, les renverser et les jetter dans le plus grand désordre, fut l’affaire d’un instant. Les talents attribués à Murat, son courage universellement reconnu et avoué, ne parvinrent point à rallier cette armée de fuyards qui ne fit halte qu’après avoir cédé une grande étendue de terrain, et quand elle se vit protegée par une fôret. Sébastiani, Dombrovsky et le prince Poniatowsky ne purent, ainsi que leur chef, qui faillit d’être pris, qu’être témoins de cette déroute. Trente six pièces de canons, 50 caissons, un étendard, 1,200 prisonniers, les bagages abandonnés, parmi lesquels se trouvait une partie de ceux de Murat, suffisaient à une victoire, qu’on ne voulait signaler que par la défaite du corps que commandait Murat. Celui-ci a fait redemander le corps de son capitaine-général et ami intime Déry qui perdit la vie au commencement du combat; on lui a renvoyé les dépouilles et les décorations que portait le favori. Un général moins expérimenté que le Maréchal, moins savant dans l’art de la guerre, et surtout moins calculateur du génie des nations, se laissant enivrer par un premier succès, aurait poussé l’ennemi jusqu’à ce que l’ensemble d’une masse fut venue mettre un frein à son impétuosité. Mais le prince, aussi maître de lui que de ses combinaisons, avait vu d’un coup d’oeil le terme qu’il devait imposer à son entreprise, en apercevant le degré auquel devaient être portées les impressions morales chez les deux partis.

Si je juge des effets que ces résultats doivent produire sur les français par ceux qu’il on produit sur moi, ils sont extraordinaires.

Je n’ai plus reconnu les russes, que j’avais vu en Italie, à Austerlitz, à Eylau. Le champ de bataille était un champ d’exercice. Tous les mouvements étaient précis; l’officier exécutait avec intelligence et le général saisissait habilement les accidents du terrain. Le Maréchal que je suivis un moment, commanda en personne les évolutions de ses lignes. Pourquoi ceux qui militent encore en faveur de la nation ennemie, n’ont-ils pas avec moi [226] assisté à ce combat! Je leur aurais demandé, s’ils croient encore de l’intérêt de leur maître de rester uni avec l’homme qu’ils supposent invincible? Pourquoi ne voient ils pas aussi que moi, l’état déplorable dans lequel ce grand capitaine a, contre tous les principes, conduit son armée, à qui, annonçait-il, il était réservé de détruire la Russie? Le neveu de Clarke, fait hier prisonnier, a dit au général Wilson, qui me l’a répété, que Napoléon était forcé de gagner une bataille ou de souscrire à la paix qu’on voudrait lui imposer, mais Dieu protégéra assez le monde, pour écarter de l’Empereur Alexandre toute idée de paix et pour que les armées de Votre Majesté rentrent dans l’inaction. J’espère de plus, que le génie du bien conservera le prince Maréchal dans le profond système, que son Altesse semble avoir adopté. Si elle persiste à ne recevoir de bataille que dans des positions retranchées à l’avance, si elle prend sa nouvelle position en se rapprochant de la communication de l’ennemi, par un de ces mouvements que lui suggérera son génie; si elle continue à activer ses partisans dont elle a augmenté le nombre et les forces, je proteste à Votre Majesté qu’il en est fait de l’armée que commande Bonaparte.

Tous les cosaques sont arrivés et forment un complet de 46 régiments. Il se couvrent de gloire; à l’affaire du 6 (18) ils ont attaqué et détruit le régiment de cuirassiers, destiné à couvrir la retraite. L’armée bien nourrie et bien montée est de plus de cent mille hommes sous les armes.

Convaincu, en honneur de ces vérités, il ne me reste plus qu’un voeu à former, celui de voir l’armée du prince Schwarzenberg chercher par des monoeuvres à éviter toutes les chances qui pourraient contrarier le bien général.

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